Quand tout dort
LA NUIT QUAND TOUT DORT
René Magritte, L'Empire des Lumières (Gugenheim - Venise)
Un lecteur curieux trouvera dans les lignes qui suivent trois suggestions pour mettre en branle l'écriture autour du thème ci-dessus. Un lecteur aventureux, scripteur aguerri, pourra alors se lancer dans l'aventure proposée. Un lecteur impétueux espérera peut-être se faire ainsi déchiffreur des lignes de sa nuit.
VEILLE / INSOMNIE
Scénario d’écriture sur le thème La nuit quand tout dort
Dispositif proposé par H. Tramoy
pour le numéro 136 de Soleils et Cendre
Voici un scénario en deux étapes, séparées par une période de latence.
Il s’adresse à deux types de public : l’ensemble de celles et ceux qui ont parfois des insomnies et que nous nommerons le groupe A ; celles et ceux qui ne connaissent pas ce phénomène et qui appartienne donc au groupe B.
1ère étape
Gr. A : situation 1
Vous avez une insomnie. Levez-vous (c’est ce qui est en général recommandé). Dirigez-vous vers votre table d’écriture.
Vous allez prendre en note trois types de choses : d'abord les pensées qui ont provoqué cette insomnie ; ensuite les bruits qui vous parviennent et les menus faits que vous observez ; enfin ce qui vous vient à l’esprit pendant ce moment d’éveil.
Gr. B : situation 1
C'est un moment programmé. Décidez ce jour de vous lever très très tôt (quand tout dort encore) ou de vous coucher très tard (quand tout dort déjà). Installez-vous à votre table d’écriture.
Vous allez prendre en note trois types de choses : d'abord ce qui vous vient à l’esprit dans cette situation privilégiée de veille ; ensuite les bruits qui vous parviennent et les menus faits que vous observez ; enfin ce que vous imaginez, des vôtres endormis, du monde extérieur, pendant ce moment d’éveil.
Gr. A : situation 2
Vos soucis intimes ne regardent pas le lecteur. Vous allez les travestir en substituant à l’objet de chacune des pensées qui vous tenait éveillé.e, qui un personnage, qui un animal, une chimère ou un objet...
Gr. A et B : situation 3
a/ Parmi toute cette matière, retenez un mot fort, un seul, et déclinez-le par associations d’idées
b/ De la collecte des situations 1, et éventuellement de la situation 2, tissez un texte au kilomètre, sans chercher a priori de cohérence et en ne laissant rien de côté. Il sera temps plus tard d’organiser tout cela.
Temps de latence : laisser cet avant-texte aux oubliettes pendant, disons, un certain temps (un ou plusieurs jours).
2ème étape
Vous disposez dès lors d’une matière à réécriture. Les deux types de public ont dès lors les mêmes situations de création.
Situation 4
a/ Dressez la liste d’une dizaine d’expressions fortes que vous découvrez à la relecture de votre avant-texte ;
b/ Retravaillez-les dans leur aspect matériel, dans un jeu dit de dislecture-paralecture (il s’agit de transfigurer ces expressions en gardant leur rythme et leurs sonorités, sans préserver le sens). Par exemple La nuit quand tout dort peut se métamorphoser en La pluie tend au nord ou L’ennui sans effort ou bien encore en Le nid sans confort ;
c/ Retenez de cette matière 4b, deux mots importants et déclinez-les chacun en deux listes : les mots qui vous viennent par association d’idées ; ceux que vous obtenez par recombinaison des sonorités et des syllabes. Ces mots, intégrés dans votre texte futur, le densifieront autour des mots choisis.
Situation 5
Au moyen de la collecte de matériaux que vous avez effectuée tout au long de la situation 4, vous allez tisser votre texte final (provisoirement définitif). Cela au moyen de deux contraintes, appliquées simultanément ou successivement, au choix.
a/ La première contrainte est destinée à densifier le sens : colorez votre texte, saturez-le, des mots et idées de la nuit et du sommeil ;
b/ La seconde contrainte est purement formelle : il s’agira de lui appliquer un rythme lent, en l’occurence à trois temps. Nous allons pour cela nous référer à une pratique liturgique classique : la succession des prières rituelles de la nuit. Celles de Matines (qui se récitent entre minuit et le lever du jour), Laudes (qui se récitent à l’aube) et Prime (qui se récitent dans la première heure qui suit le lever du soleil). C’est-à-dire quand tout dort... ou dort encore. Les prières de Matines sont destinées à sanctifier le temps de la nuit ; celles de Laudes sont déclinées en louanges au Créateur ; celles de Prime sont chantées. À vous d’interpréter cette contrainte pour donner à votre texte un rythme et une forme en écho.
LE FIL ET L'AIGUILLE
Dispositif proposé par MP. Canard
pour le numéro 136 de Soleils et Cendre
Ici se délimitent deux mondes, le monde qui dort, le monde qui veille et la nuit comme point de rencontre.
Ici on entre dans la nuit et ces deux mondes s’offrent à nous, tour à tour, successivement et aussi simultanément.
A partir de cette citation : « On entre dans la nuit comme le fil dans l’aiguille par une ouverture heureuse ou sanglante, par la fente la plus lumineuse. Etant fil et aiguille on entre dans la nuit comme en soi-même. »
1ère partie où la nuit est aiguille
- Décrivez, par mots et brèves expressions, le monde tel que vous le percevez quand tout dort
- Déclinez le mot « aiguille » sur son pôle matériel : constitution d'autres mots au moyen de ses lettres et sonorités
- Fabriquez, à partir de ce matériau, un fragment de texte A
2ème partie où nous sommes le fil
- De nous/de moi s’écrivent des mots des expressions
- Déclinez le mot « fil » sur son pôle idéel : association d'idées
- Fabriquez à partir de ce nouveau matériau un fragment de texte B
3ème partie pour entrer dans la nuit
- Repérer dans votre texte A ce qui peut vous paraître heureux/lumineux ou au contraire sanglant/sombre : ceci peut devenir le trou de votre texte A. Faites entrer votre texte B dans ce trou. Voilà, on entre dans la nuit : vous obtenez un texte C qui, après diverses opérations de réécriture deviendra votre texte définitif.
TERRES D'OUTRE-NUIT
croisements suggérés d'écritures
Dispositif proposé par H. Tramoy à partir d'une suggestion pratique de S. Werner
pour le numéro 136 de Soleils et Cendre
Le poème : une terre d’outre-nuit que le soleil
arrache à la méditation et aux épines du doute.
Maurice Blanchot
1. Recherchez des extraits de poèmes ou autres textes littéraires ou théoriques qui font, pour vous, écho au thème La nuit quand tout dort. Ils constitueront une matière déjà affinée, disponible au croisement (au sens biologique, intraspécifique) et à la réécriture, en vue de faire apparaître des variants, un mot devenu à la mode. Il en faut une dizaine de quelques lignes chacun (autrement dit pas des expressions ou aphorismes trop courts), une certaine quantité de matière étant nécessaire.
2. Nous allons traiter chaque extrait selon une même procédure :
- sa segmentation en phrases et expressions élémentaires
- la transformation de chacun de ces fragments sur le mode paralecture / dislecture :
Alors que la lecture procède par le jeu de transformation synonymique (on comprend les mots par substitution d’autres mots permettant la venue d’un sens admissible), la dislecture travaille par substitutions homonymiques (on remplace les mots par d’autres, produisant un sens décalé, voire aberrant) quand la paralecture opère par substitutions hétéronymiques (les mots sont supplantés par d’autres pour obtenir un sens convoité comme dans le calembour ou la contrepèterie). D’après JM. Gleize, Le Théâtre des métamorphoses.
3. Recomposez en un texte aléatoire l’ensemble des fragments obtenus après cette transformation.
4. Procédez à la réécriture en vous appliquant à deux opérations :
- procéder à une relecture de scrutation : derrière les formules étranges ainsi advenues, allez traquer des sens inédits et organisez-les rationnellement en privilégiant la cohérence sémantique.
- garder en permanence en tête le nécessaire traitement du thème La nuit quand tout dort en restant attentif à l’étrangeté des mondes qui peuvent surgir de cette veille nocturne.