TEXTE COLLECTIF
publié dans le numéro 10 d'avril 1990
Villes… géométrie des hommes
ENTRÉE DE CORPS REBELLES
SUR DÉCOR EN COUPE
silhouette floue fragile juvénile écarte fiurtivement le rideau de la fenêtre. la fille est sèche. anguleuse. l'éclairage de la scène étire son côté malsain. moins un rideau de dentelle ouvragé. qu'un suaire. visages apparaissent dans le champ. masques de cire. au jeu de la fenêtre s'entrouvrent en trois mots la vie et moi dans la vie. la ville c'est pareil. desseins dessins destins. définir ainsi la ville. comme lieu d'affirmation de soi. ou comme échappatoire. ou plutôt JE. comme critère d'identification de l'identité de la ville.
DÉCOR 1 : FENÊTRE
Mouvement
Ici
opaque
précis
ailleurs
| migration intérieure dialogue diagonal silhouette furtive au rideau la nuit féline s'arrime à la lumière
le siècle se creuse en ses murs lisses
ainsi que fente en soi d'apparence anodine
brèche tissée contre le hurlement compact du silence
|
fenêtres murées donnent sur l'absence. fenêtres absentes de banlieues murent l'anonymat. en jeux télévisés. long plan muet interminable à la limite du tolérable fin de plan aboiement sifflement de percolateur bruit de pas la ville figure un monde. comme écran total sur compost humain remarquable treillis mental où s'aiguisent des sourires d'architectes cossus qui corsètent avec civilité. méprise. d'une langue trop laconique. où l'humain gît au fond des alvéoles.
DÉCOR 2 : RUE DÉSERTE BORDÉE D'UN MUR
DANS UN QUARTIER POPULAIRE
Murmures éparpillés gravier cendré
brèche avivée
Je sais
les barricades | nuit méthylène aux soupirs écorchés, mots palissades … sous la langue, le cément des étreintes
œil enté au sombre des angles morts
sous ta peau nacre des aubes amassées
corps émiettés, mutins, corsaires des matins insolents. |
souffle suivi. à la trace. la chaîne relie entre eux les mondes et les états. quête initiatique la ville s'atrophie mirage au bout de la jetée. un port s'essouffle au cri âcre des ferries.
DÉCOR 3 : PASSANTS PRESSÉS
La glaise colle aux traces perdues
entre vivre et
un profil anonyme
capté des fenêtres | au feu, naître et nous terrer au détour de figures, ou mirages
survivre à l'homme puis extraire
de ses cendres, un regard vide
où dansent des reflets de sens. |
rues croisées. passages pavages caves usurpées porches en enfilade tout me lie à la respiration des murs. centre ville sans âme banc de poissons en mal du temps de vivre je me choisis banlieue. banlieue non extérieure et cependant en marge. banlieue. comme mesure de l'écart à la loi.
DÉCOR 4 : DÉMOLITIONS
Lavis privé d'épure l'univers se concentre
Une raison mentale suinte
suie intime du soleil
suaire ciré de graisse | A l'aplomb des décombres un art conceptuel s'affiche.
Lambeaux arrachements restes de carrelage
la vie privée des murs
dépave l'actuel au repos. |
lumière trompeuse au détour de la langue nous force. à percevoir des sens. labyrinthes. les rues. dialoguent avec la pierre. le c. iel s'illumine de reflets en diagonale. langage urbain que l'œil fixe au grand angle. et. l'émotion s'étrangl. e.
DÉCOR 5 : ROUGE SANG SUR NOIR AZUR
Une solitude pendue, un fil tendu, façades lisses et limpides
donne des ailes au vide
amas d'immondices, une foule
un peu rouge, essence sanguine | regard braqué, contemplatif pervers une larme de dérisoire
Chute d'une image
pourtant déchue de vertige
un peu noir, azur. |
ville sans règle. immature. sans mâture. qui n'ose se voir en ses propres murs. là où les yeux se perdent asphyxiés par l'asphalte la trace s'égare. ses places. ses gares. y'a un mot sous la terre battue de nos drames. ville. par-delà la naissance fortuite de chacun de nous y a-t-il plus belle ville natale que ce lieu où l'on décide de naître. je nais où je suis. où je vis. où je m'engage. mais. on a toujours en mémoire un coin de ville idéale et le désir de retrouvailles.
DÉCOR 6 : CINÉMATIQUE DU PRÉSENT
Je migre en banlieue, dernier loup de subway aux éclairs de faïence
au bout de la langue, échos
muets comme clé de voûte des
destins je jette mes lacunes lépreuses | loin des signes j'écris demain
silo des sens
désirs d'autres
traînées de lave. |
labyrinthe des vies éperdues d'ordre. des regards livrés à l'anonyme. le quotidien entrecroisé où s'inscrit en cercles concentriques l'idée rebelle d'égalité. je nais où je m'engage. entre les plaques de marbre de la grande cité hantée de désirs gémissait. affligée. … ou je m'encage.
DÉCOR 7 : DES CORMORANS OU DES MOUETTES
AU-DESSUS D'UNE CHEMINÉE D'USINE
As-tu jamais pensé qu'une ville à tort ou à raison serait réserve indienne
Chinatown où crimes et chromes font escarmouche
express en gare désaffectée ogresse ou reine
tes cris conjugués à l'imparfait farouche | mélange hétéroclite little Italy
Moscou Orient
tu vends
tes îles. |
sourires barbelés au-delà du désert. les mômes traboulent en bandes insolites. de cave en cave. babylonent. et les destins se creusent à force d'illusions. d'ongles arrachés. voix off je te regarde enfin et confonds nos visages. craquement de phono. jamais le regard ne s'écorche aux angles. il glisse. musique. pianissimo. notes au piano.
DÉCOR 8 : FIENTES SUR LA FENÊTRE
Donner des miettes au vent sans rire, hasard brisant la cécité qui suit l'asile mat
de nos rêves. Je traboule en équilibre sur
de petits mots d'amour traçant les sorts
au vide. Je trame mes idées d'odeurs | Sentiment amer
terre
battue
saignées |
au grenier des sens confondus chaque individu compartimenté oscille entre trois pôles l'agir l'agi la mort qu'on peut nommer encore temps projeté temps figé teps définitif. les yeux des villes me dévorent.
Sylviane Werner, Claude Niarfeix, Serge Tadier,
Henri Tramoy, Martin Hugon, Olga France, Yves Béal, Marie-Pierre Canard
Auxerre - Villefontaine - Collioure - sept/déc. 1989